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The Joker Steve Miller

Publié originalement le 15 février 2019, 1800 vues
Republication le 8 juin 2021

Par Marc Lamothe

L’étrange mythologie derrière la chanson THE JOKER (1973) de Steve Miller

Non seulement la chanson The Joker est une de ces pièces qui a probablement trop tournée dans les radios commerciales dédiées au Classic Rock, mais si bon nombre de mélomanes en connaissent les mots par cœur, plusieurs ne se sont pas questionné sur le sens des paroles. D’étranges paroles quand on s’y intéresse phrase par phrase, un peu comme un collage de trois chansons différentes avec une introduction auto référentielle, un refrain rempli de références aux herbes psychotropes et un couplet hommage à une vielle chanson doo wop. Pas étonnant quand on apprend que les fragments de cette chanson traînaient depuis un moment dans les cartons du chanteur-compositeur-interprète-guitariste avant d’être officiellement enregistrée.

Steve Miller est né en 1943 dans le Wisconsin. Dès l’âge de cinq ans, ses parents, déménagent au Texas où il rencontra très jeune le légendaire guitariste Les Paul qui lui montra ses premiers accords. À son adolescence, T-Bone Walker partagera aussi quelques trucs à l’enthousiaste adolescent, expliquant l’attachement à Miller au blues qu’il pratiquera ponctuellement à travers les diverses périodes artistiques de son ardoisière.

En 1966, il forme à 22 ans The Steve Miller Band à San Francisco après y avoir découvert Jefferson Airplane, Moby Grape et les Grateful Dead. Parfois appelé The Steve Miller Blues Band, le groupe est notamment remarqué alors qu’il accompagne Chuck Berry au Fillmore Auditorium en 1967 dans un spectacle de blues rock aux proportions mythiques. The Steve Miller Band enregistre son premier album, Children of the Future, à Londres en 1968. Un album psychédélique alliant le son des groupes de la côte Ouest de cette époque et le style de production studio privilégié par les groupes anglais de l’heure. Toutes les chansons de l’album s’enchainent ou se bousculent pour créer une impression d’album concept.

En 1969, le second album du groupe, Sailor, amène le groupe plus loin dans l’exploration de la pop psychédélique baignée de blues et folk rock. Le troisième album, Brave New World, se positionne comme la prolongation de l’album précédent. Paul McCartney participe à deux chansons sous le pseudonyme de Paul Ramon, dont la cultisme My Dark Hour. Le riff de guitare de cette dernière allait être repris quelques années plus tard, en 1976, sur la pièce Fly Like an Eagle sur l’album du même titre. Prouvant que Steve Miller aime parfois planter des références à ces anciennes pièces dans sa discographie.

Le début des années 70 allaient être plus rocailleux pour Steve Miller. Les albums Your Saving Grace, Nunber 5, Rock Love et Recall the Beginning…A Journey From Eden bien qu’intéressants, allaient plonger le groupe dans une indifférence grandissante. Prisonnier du changement des paradigmes musicaux, Miller abandonne graduellement les aspects psychédéliques de son travail et semble chercher une avenue plus pop, mais sans encore trouver le son approprié ou l’angle d’attaque.

L’année 1973 allait soudainement changer drastiquement le reste dans sa carrière. Une chanson qui, à première vue, semble être un hymne à un joyeux inhaleur de cannabis qui se délecte de vapeurs nocturnes, allait devenir un énorme succès, donnant du coup un nouvel élan à sa carrière, et ce, jusqu’au début des années 80.

THE JOKER figure sur l’album du même titre dont la pochette s’avère être à la fois iconique et énigmatique. Une série de photographies où un Miller porte une série de masques nous proposes une blague au premier degré dérivée du titre de l’album. En second plan, on y observe effectivement un artiste aux masques et personnalités multiples. Peu étonnant pour un artiste dont le culte de la personnalité ne semble jamais avoir habité. En effet, Steve Miller est rarement photographié clairement sur ces pochettes de disque, du moins pas en couverture extérieure. Des effets psychédéliques, des photos volontairement floues ou des dessins illustrent plutôt ces disque entre les années 60 et les années 80.                                   

Dans le tout premier couplet de la chanson The Joke,Steve Miller y énumère une série de personnages, sortes d’alter egos cryptiques et de retours sur sa carrière, semblant ainsi confirmer le deuxième degré de la pochette de l’album.

“Some people call me the space cowboy.
Yeah! Some call me the gangster of love.
Some people call me Maurice,
 »Cause I speak of the pompatus of love.”

D’où viennent exactement ses divers sobriquets? Mais de qui parle-t-on ici? Chacune des phrases de ce couplet renvoie en fait à des chansons antérieures de la discographie du Steve Miller Band.

GANGSTER OF LOVE est une chanson blues rock issue de l’album Sailor(1968) où le chanteur prétend être un amant sollicité et digne descendant des outlaws de l’Ouest américain. La pièce est en fait une reprise personnalisée d’une pièce de blues endisquée en 1959 par Johnny Guitar Watson. Deuxième de trois pièces qui s’enchaînent sur la seconde face du deuxième 33 tours de l’artiste, un peu à l’image de l’album Children of the Future. Prise en sandwich entre une pièce folk aux propensions psychédéliques, Lucky Man, et le blues boogie de You’re So Fine, le gangster of love confirme être un personnage imprévisible, mais apparemment prisonnier d’un certain héritage musical.

SPACE COWBOY est une chanson festive extraite de l’album Brave New World (1969) et s’avère être une référence à l’enfance de Miller qui rêvait à cette époque de devenir soit astronaute, soit musicien professionnel. Il y cite au passage le Gangster Of Love et une autre de ces chansons à succès, Living ine the USA dans le premier couplet, confirmant que le gangster et le cowboy sont effectivement deux pseudonymes de l’artiste :
“I told you’bout living in the U.S. of A.
Don’t you know that I’m a gangster of love?”
(…)
“I’m a space cowboy
Bet you weren’t ready for that
I’m a space cowboy
I’m sure you know where it’s at
Yeah, yeah, yeah, yeah”

ENTER MAURICE, un pastiche du rock des années 50, arrive quelques années plus tard sur l’album Recall the Beginning… A Journey From Eden (1972) et introduit le personnage de Maurice et l’expression The Pompatus of Love avant de souder celle-ci dans la culture populaire américaine :
My dearest darling, come closer to Maurice
so I can whisper sweet words of epismetology
in your ear and speak to you of the pompatus of love.”

Cette phrase énigmatique est une citation directe dérivée de la chanson The Letter (1954) du groupe Doo Wop The Medallions :
Let me whisper sweet words of pismotality
And discuss the 'puppetutes' of love

Un peu plus loin d’ailleurs dans la chanson The Joker, Steve Miller évoque aussi directement une autre chanson Doo Wop dans ses paroles, LOVEY DOVEY des Clovers :
Well, you’re the cutest thing that I did ever see
I really love your peaches, want to shake your tree.
Lovey dovey , lovey dovey all the time
Lovey dovey, I can’t get you out of my mind.”

Le personnage du Gangster allait être de retour dans la chanson The Gangster is back sur l’album Rock Love (1971). Suite directe de la chanson The Gangster of Love, Steve Miller unira parfois ces deux chansons en spectacle dans un efficace medley THE GANGSTER IS BACK / THE GANGSTER OF LOVE. Cette fois, la chanson fait référence au fait que Miller s’était cassé le cou plus tôt dans l’année lors d’un accident de voiture, jetant un doute sur son avenir musical.
“Look out, the gangster’s back
I done traded in my old horse for a brand-new Cadillac
I’m gonna play some blues
Cause I know you like that
Gonna get real loose
And do the jumpback jack
When I walk into a bar
Girls from near and far
Say I’m the gangster”

En fait, cette réflexion semble aussi expliquer la présence du gangster sur l’album The Joker qui célèbre le retour de l’artiste après un long combat contre l’hépatite. L’utilisation récurrente du gangster devient donc une sorte de défiance à la maladie, voire même à la vie. À preuve, sur le même album, la chanson Your Cash Ain’t Nothing but Trash mentionne aussi au passage le gangster et le cowboy.
Here we go
Yeah, you may have heart about the gangster of love and the space cowboy
But I’m going to whip a cat on you right now who’s had more trouble, trials and tribulations”

Étonnamment Your Cash Ain’t Nothing but Trash précède la pièce The Joker sur l’album, comme par préparer le terrain au retour des deux surnoms dans une ultime citation.

Si le passé artistique de Miller à la sortie de The Joker appartient alors davantage au personnage du Gangster of love, les deux albums à suivre, Fly Like an Eagle et Book of Dreams, seront clairement sous l’empreinte musicale du Space Cowboy avec une production studio sophistiquée et des envolées de clavier futuristes remplaçant dorénavant les mouvements psychédéliques des débuts.

Ainsi, The Joker s’avère une démonstration flagrante de l’adage populaire voulant que Tout est dans Tout .

BANNIERE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
ASSISTANTE RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
RÉDAC’CHEF: GÉO GIGUÈRE

1 Comment

1 Comment

  1. Yvon Paquette

    8 juin 2021 at 10:55 PM

    excellente chronique. Merci

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