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Album Fantastica

Carole Laure & Lewis Furey
Album : Fantastica (Bande originale du film)
Label : RCA Saravah
Code : RSL 1085
Durée : 35:49
Année : 1980

Chronique de Louis Bonneville

Le film Fantastica (du slogan : une fête de l’amour, une symphonie de couleurs et de chansons) est visiblement loin d’être incolore. À son point culminant, il est de la sélection officielle de la 33e édition du Festival de Cannes de 1980, et présenté à sa soirée d’ouverture… Tapis rouge du palais des festivals, critiques férocement polarisées (plutôt caustiques)… Quel accueil pour cette bobine évènementielle. Au final, l’œuvre tourne sur elle-même en solitaire, ou encore, sur son trio phare d’artistes façonneurs de fantasmagories : Carle, Furey et Laure…

L’œil de la caméra de Carle est unique. Le cinéaste a le désir et la capacité d’imbriquer une multitude de personnages hétéroclites, rituellement façonnés, aux caractères amplifiés. Ces individus et collectivités sont tantôt ruraux tantôt urbains. La fable Fantastica, scénarisée et réalisée par le cinéaste abitibien, nous convie à un théâtre musical surréaliste, coloré d’un coup de pinceau évoquant Magritte. Parallèlement au déroulement de ce spectacle (fignolé et présenté à Shawi), un large éventail de personnages évolue dans diverses perspectives : arts, environnement, capitalisme, pouvoir social, érotisme, sexualité, politique, croyances, et, surtout, amour. Carle ne peint pas seulement la vie d’autrui, on peut supposer qu’il dévoile ici un regard sur son propre idéal : une forme utopique de la quiétude de l’esprit, ne se trouvant que dans une sagesse de l’âge, péniblement extirpée des tourments passés de l’existence. Le philosophe en retrait sur ses terres à bois, personnalisé par le convaincant Serge Reggiani, représente à la perfection cette fine allégorie du cinéaste…

Lewis Furey est un artiste remarquablement assumé et doué d’un talent prodigieux. Son parcours est multidisciplinaire : il est à la fois auteur-compositeur-interprète, multi-instrumentiste, metteur en scène, comédien et cinéaste. Carle lui donne le mandat des scènes musicales du film. Le maestro instaure une musique complexe, variée, somme toute d’influence relativement énigmatique. Les orchestrations classiques sont potentiellement empreintes de certaines œuvres de Kurt Weill et de George Gershwin. L’instrumentation (outre ses aspects classiques) est vraisemblablement issue de celle du revival klezmer, du flamenco, du jazz et de la pop. La résultante est digne (voire meilleure) des grands « musicals » de Broadway. Soulignons les arrangements exceptionnels de John Lissauer et sa coréalisation avec Furey à cet album. Du reste, Lewis incarne ici le rôle de Paul : un auteur-compositeur-interprète et metteur en scène qui exerce une certaine forme d’autorité artistique sur sa troupe ambulante, dont la vedette est sa compagne. Fictive réalité ou réalité fictive ?

Carole Laure est une dynamite dynamique, elle ne subit pas les évènements, elle les catalyse. Charlyne Ascaso, un philanthrope vêtu en producteur de cinéma, frappe à la porte de l’actrice pour lui offrir un rôle dans son premier projet de film. Laure lui fait comprendre assez rapidement qu’il devrait consacrer son financement à un film musical, en l’occurrence EXIT : un projet au titre provisoire, sur lequel elle travaille depuis un temps avec Carle et Furey. Le mécène businessman donne son accord et allongera la moitié du budget, autour de 2,5 millions. Fantastica est ainsi concrètement mis au monde… Le premier rôle sera bien entendu tenu par Laure qui incarne avec un naturel déconcertant Lorca, la star de cette troupe de saltimbanques et ménestrels néo-bohémiens. Il est facile d’associer ce prénom au nom du poète espagnol Federico García Lorca, il est d’ailleurs une quasi-anagramme du prénom Carole. Le poète, dramaturge et artiste multifacettes, est une source d’inspiration chez les créateurs de Fantastica. C’est un peu comme si un étrange façonnage chimérique avait uni Carole et Lorca à l’écran en une symbolisation de néo-muse. La scène « Lorca In Three Movements » atteste cette idée (oui ! qui est un brin obscure). La résultante envoûte. La voix de Laure sur l’album est millimétrée de justesse, autant dans le ton que dans l’intention. Une texture vocale langoureuse qui n’est pas sans rappeler celle de Kate Bush, l’Anglaise faisant alors sensation avec son album Lionheart. Les chants de Laure et Furey, solistes ou en duos, sont solidement soutenus par des chœurs vocaux d’enfants, d’hommes, et de femmes, précisément composés du trio époustouflant de Erin Dickins, Estelle St-Croix et Judy Richards.

De nos jours, cette bande sonore n’est pratiquement pas diffusée, voire carrément oubliée. Néanmoins, en 1991, une très rare version numérique a circulé en France, témoin solitaire de sa version sur support numérique. Le master analogue a-t-il été utilisé pour ce transfert ? On peut en douter, sachant maintenant que même les bandes maîtresses du film sur 35 mm sont apparemment inexistantes. Une copie positive sur 16 mm semble être le seul vestige de ce long métrage. Pire encore : ce duplicata, entreposé à Toronto, connut le triste destin d’aboutir dans les poubelles. Heureusement, le film fut sauvé in extremis par le projet philanthropique Éléphant. Sinon, pour apprécier dignement l’album, on doit se rabattre sur les éditions vinyles originales de 1980, rarissimes. Deux éditions existent : la canadienne sous label Acapella et la française par Saravah.

Faut-il espérer ? Grâce au potentiel de ce film et surtout à celui de sa musique, cette œuvre n’a sûrement pas encore tiré sa révérence. Le fantasme est permis : imaginons une troupe audacieuse relevant le défi d’adapter sur scène cette œuvre brillante… projet à suivre !

Pochette vinyle                                                                Pochette CD

Photo de bannière : Daniel Desrochers

BANNIÈRE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
ÉDITEUR: GÉO GIGUÈRE

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