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Led Zeppelin IV

IV
Led Zeppelin (1971)
10/10
Publié le 31 mars 2018
3800 vues
Republié le 23 mai 2021


Texte de Louis Bonneville

L’album Led Zeppelin IV : regard sur sa tournée de spectacles et son rare film à Montréal

C’est en septembre 1968, en territoire scandinave, qu’un nouveau groupe nommé The New Yardbirds opéra son tout premier ensorcèlement musical sur un auditoire. Cette formation anglaise, parfaisant sa puissante sonorité de blues/rock, se rebaptisera rapidement du nom Lead Zeppelin, et finalement l’abrègera par Led Zeppelin. Suite à son vif décollage, ce quatuor régna rapidement au zénith du rock durant toute une décennie. Le Hammer of the Gods, comme surnommé, ne cesse même encore aujourd’hui d’éblouir la multitude de mélomanes de par le grandiose de son œuvre. Les admirateurs, ceux des premières heures, demeurent néanmoins toujours tétanisés face à son éclatement brutal survenu en septembre 1980. C’est suite à la mort subite de son batteur que l’effectif restant n’eut d’autre choix que d’abandonner leur projet commun de création. Le groupe, qui venait d’ailleurs d’entamer quelques mois auparavant sa tournée de spectacles en Allemagne, où il y présentait son nouvel album In Through the out Door, fut bien évidemment contraint de l’annuler et conséquemment, il ne put franchir l’océan pour les dates prévues en Amérique.

Une tragique analogie avec un des modèles de ballon dirigeable du fabricant allemand Zeppelin Company est malheureusement facilement interprétable à rebours. Lors d’un vol en provenance d’Allemagne, le LZ 129, le plus grand des modèles jamais conçus à ce jour, s’enflamma en plein ciel sous les yeux ébahis des témoins à son atterrissage aux États-Unis. Causé vraisemblablement par une décharge électrique inattendue, c’est de cet incident hautement médiatique de 1937 que Page s’inspira pour le nom de sa formation explosive. Ce serait Keith Moon, un autre célèbre batteur décédé en septembre deux ans avant Bonham dans des circonstances similaires, qui aurait été l’étincelle d’inspiration pour le nom du groupe. En 1966, envisageant de créer un groupe avec Page mais le qualifiant de projet trop ambitieux, il lui en aurait fait référence ainsi : « to go down like a lead balloon… ».

En novembre 1971, le groupe en était déjà à commercialiser son quatrième album dont la pochette ne présentait aucune inscription, et ce autant sur la tranche qu’au verso. Stratégie commerciale très audacieuse, elle fut d’ailleurs la source de promptes inquiétudes auprès des distributeurs et disquaires. Malgré ces quelques difficultés de présentations causées par l’item hétéroclite, ces commerçants n’eurent du moins absolument pas à se plaindre de faibles ventes. Il se classe aujourd’hui bon dixième dans le décompte planétaire des albums les plus vendus de l’histoire de la musique enregistrée, avec plus de 37 millions exemplaires écoulés. Les Canadiens sont ceux, après les États-Uniens, qui ont consommé le plus grand nombre de ce disque avec plus de deux millions d’exemplaires. Ainsi, on retrouve diverses rééditions dans notre pays, stimulant l’engouement chez les intenses collectionneurs.

Ce fascinant chef-d’œuvre musical est difficilement critiquable. Si j’osais m’aventurer dans une périlleuse tentative de lui infliger un point de défaillance, je me risquerais à penser que le regroupement des morceaux s’y retrouvant n’a pas nécessairement de cohésion de style coulant de source. La réalisation suivante de 1973 Houses of the Holy pourrait être affligée d’un constat comparable, mais probablement dans une perspective moins drastique par contre. Cet album est d’ailleurs, à mon sens, celui qui peut le plus aisément compétitionner avec le quatrième pour l’obtention du statut de leur œuvre la plus achevée, au choix de chacun… Si ces deux splendides réalisations avaient profité à leurs sorties de quelques pièces supplémentaires pour ainsi créer, en quelque sorte, des ponts moins vertigineux de pièce en pièce, est-ce qu’elles auraient bénéficié d’une plus-value d’homogénéité ?

Ces pièces existent pourtant et furent d’ailleurs enregistrées lors de ces mêmes productions. Comme souvent, à la création d’un album, un travail complet de réalisation est effectué sur plus de pièces que nécessite le rendu final de la production, une fois l’ensemble du corpus réuni, un retranchement des œuvres les moins pertinentes s’effectue au modelage de la cohésion ultime de l’album. Certes, le clivage se pratique plutôt vers les pièces jugées faiblardes, ce qui ne s’avère absolument pas le cas de celles de ces deux albums. Chacun de ces deux disques eurent trois morceaux soustraient dont leurs versions intégrales, suffisamment estimables, serviront à alimenter l’album suivant, le double Physical Graffiti de 1975.

Le projet initial de cette production n’avait pourtant aucune visée d’un album si long. La théorie veut que, suite aux sessions d’enregistrements, le groupe ait jugé qu’il possédait pratiquement le matériel que nécessite un double album, ce qui semble passablement illogique. Sachant que le support vinyle de type 33 tours peut contenir jusqu’à 60 minutes de données musicales, et que la résultante complète de ces dites sessions ont une durée de 54 minutes, il aurait ainsi facilement pu être contenu sur un seul disque, d’autant plus qu’aucun retrait de pièces ne s’est opéré lors du processus d’élaboration menant finalement à ce double album. La démonstration de ma théorie s’appuie sur le comparatif des condensés complets des sessions des deux précédents albums, qui sont justement de durée équivalente, à la minute près, de celle de 1975. Bien évidemment, en analysant d’entrée de jeu Physical Graffiti, on ne peut qu’être ébloui par les fabuleuses pièces s’y retrouvant.

Mais aurait-il été nettement plus percutant en version simple ? Si on se réfère seulement aux rendus sonore, on ne peut que constater qu’il est difficilement cohésif, ce qui est surtout dû à ses multiples années de réalisations, attestant ainsi de différences sonores marquantes liées aux facettes évolutives humaines et techniques.

Certes, une création de ces trois pseudo-versions simples d’approximativement 55 minutes en auraient fait des disques d’une durée inhabituelle dans l’industrie, mais vraisemblablement réaliste. Ceci dit, en bas de chronique, vous retrouverez les nomenclatures de ces trois chefs-d’œuvre étant probablement les plus essentiels du groupe dans leur version de travail avec des ordres proposés de chansons m’apparaissant pertinents. Pour les courageux mélomanes, je vous invite à constituer une liste d’écoute audio numérique de ces albums et à expérimenter ce réarrangement des pièces.

En 2012, Jimmy Page fit l’annonce qu’il ferait paraitre en 2014 de nouvelles versions de l’ensemble du catalogue discographique de son groupe, soit des versions remastered où chaque album serait accompagné d’un disque de suppléments en provenance de ses voûtes d’archives sonores. C’est ainsi que j’avais imaginé que Page allait profiter de cette immense conjoncture pour reconfigurer drastiquement sa discographie. Deux idées de canevas me semblaient absolument incontournables. La première aurait été d’éliminer carrément l’album posthume de 1982, Coda. Ce court album de 33 minutes est ni plus ni moins un ramassis de diverses chutes de studio et d’enregistrement en répétition de spectacle, le tout retouché en postproduction. Ainsi, chacune de ces pièces aurait pu être rapatriée vers l’époque correspondant à son album respectif, soit sur le disque de suppléments y étant associé, dont ils portent d’ailleurs tous le titre Companion audio.

Mon deuxième flash, bien entendu, aurait été de finalement créer le fabuleux Physical Graffiti en version simple, et puis encore là, effectuer un rapatriement de chacune des pièces antérieures vers son disque Companion audio respectif. Force est de constater que ces projets, qui m’apparaissaient une façon pertinente de traiter le renouveau de la discographie, ne semble pas avoir effleuré l’esprit de Page, du moins pas d’une façon assez vive. Sait-on jamais, peut-être qu’une tentative du genre verra le jour lors d’une prochaine rétrospective. Spéculons pour l’an 2043, soit le 75e anniversaire de naissance du groupe.

Maintenant que tout ce brouhaha qui me titillait férocement l’esprit est finalement exposé, retournons à l’année 1971. Le 7 août, le groupe entama une tournée nord-américaine de 24 spectacles. Cette série devait soutenir la sortie de leur fameux quatrième album qui ne put être commercialisé à temps pour la tournée, et ce, malgré la sommation de ses intervenants directs. Même son de cloche pour la tournée japonaise de la fin septembre, affichant 5 performances. C’est finalement le 11 novembre, trois jours après la parution de l’album, que le groupe amorça officiellement en Angleterre la représentation scénique du légendaire disque, soit pour un total de 73 spectacles, échelonnés jusqu’au 30 janvier 1973. Cette séquence deviendra définitivement le haut sommet de l’accomplissement musical sur scène du groupe.

L’ultime témoin de ce constat de réussite est sans contredit l’album live sur triple CD How the West Was Won. C’est le célébrissime ingénieur de son, Eddie Krammer, qui supervisa l’enregistrement de deux spectacles présentés consécutivement sur la côte ouest-américaine en 1972, soit celui au L.A. Forum du 25 juin et celui au Long Beach Arena deux jours plus tard. C’est en 2003 que Page fit paraitre un délicat travail d’amalgame de ces deux performances, créant ainsi la trame sonore scénique absolue du groupe.

Si ce document audio en est un de haute importance dans le témoignage de la tournée du quatrième album, ils se font par ailleurs extrêmement rarissimes sur supports filmiques. Le spectacle du 27 février 1972 à Sydney profite d’un intéressant film de six minutes tourné en 16 mm, réalisé pour la télé australienne. Il y a aussi quelques films en 8 mm de ce même évènement ayant servi à promouvoir l’album How the West Was Won. Suite à des recherches plus approfondies, j’ai constaté que seulement trois autres films de cette époque auraient fait surface, étant dans les trois cas en 8 mm et d’une durée de plus ou moins 3 minutes : Tucson 72 — exécrable, Tokyo 72 — ultra exécrable et San Bernardino 72 — bien réussi. Ce qui fait un total approximatif d’un maigre 20 minutes de films disparates pour témoigner de ce qui est assurément la tournée la plus percutante de l’histoire du Rock.

En octobre 2015, me trouvant en Scandinavie pour une tournée de spectacle, j’appris un fait saillant qui me foudroya l’imaginaire. Alors que notre bus de tournée roulait vers notre prochaine destination en Allemagne, j’eus une discussion avec un de mes collègues de travail qui œuvre de façon professionnelle dans l’élaboration de montage filmique d’archives musicales. Ainsi, j’appris qu’il était propriétaire d’un film plus qu’impressionnant, soit une bande maîtresse de 3 minutes, tournée en 8 mm, d’un spectacle au Forum de Montréal de 1972. M’intéressant de très près à ce genre de documents, je questionnai davantage mon interlocuteur pour obtenir plus de détails au sujet de cette archive. S’agissait-il du spectacle du 13 mai donné par le jeune chanteur québécois René Simard ? Assurément non. Bien entendu, le film en question était issu du spectacle donné par Led Zeppelin trois semaines plus tard, soit le 7 juin.

De fil en aiguille, je le convainquis dans une certaine mesure de l’importance de ce document et de son besoin d’être numérisé au plus vite pour assurer ainsi sa pérennité, mais surtout pour que cette pellicule puisse peut-être bénéficier d’un éventuel dévoilement au grand jour. Il me confirma que le dossier ne serait pas tabletté et qu’il entamerait éventuellement une démarche avec une firme floridienne, un laboratoire offrant un service de numérisations de ce type de film, par un procédé haute définition cadre par cadre.

Suite à notre retour en Amérique, c’est plusieurs mois plus tard, en avril 2016, qu’on se retrouva lors d’une journée de travail à une salle de spectacle de Brossard au Québec. C’est lors d’une pause de travail que l’archiviste me convia dans une des loges pour m’offrir le privilège d’assister au visionnement du précieux document. A priori, j’ai cru que j’allais devoir m’installer devant un écran d’ordinateur pour pouvoir découvrir la numérisation en question, ce qui ne fut pas le cas. À ma grande surprise, la loge ressemblait plus à une salle de projection, où un projecteur de marque Bolex était disposé sur un comptoir entre deux lavabos prêt à faire lumière.

L’éminent collectionneur sortit d’un vieux sac de cuir un boitier métallique de forme circulaire renfermant l’improbable film, et du coup, il commença à introduire la pellicule dans le projecteur. Je compris ainsi que la numérisation du film n’avait pas encore été effectuée, mais je conclus surtout que son niveau de nervosité, face à la conservation de cette bobine, était à des années-lumière du mien. En deux temps trois mouvements, le film avait déjà entamé son parcours à travers le projecteur, soit avant même que je puisse lever le doigt pour manifester mon inquiétude face au globe brûlant de la lampe du projecteur qui pourrait enflammer la frêle pellicule au moindre faux pas de son tracé à parcourir. Le visionnement débuta avec un autre spectacle présenté au Forum se trouvant sur cette même bobine. Et non ! ce n’était toujours pas celui de René Simard, mais plutôt celui de Emerson Lake and Palmer.

Trois minutes plus tard, bang ! Coup de marteau des Dieux sur ma rétine ! La première image m’est apparue telle une scène onirique d’un film occulte. J’étais totalement ébahi d’avoir le privilège de papilloter de la cornée au visionnement du seul film canadien découvert à ce jour des catacombes d’archives des divers fans du groupe, qui ne sont d’ailleurs vraisemblablement pas encore totalement sondées. C’est bien connu, Led Zeppelin a su, par la rareté de documents les concernant, alimenter une mysticité à tout ce qui entoure leur univers artistique. Ce cours des choses a créé un fort effet de convoitise chez tous les admirateurs du groupe, dont à mon tour je ne fus pas épargné. Le film muet résonnait à mon œil d’une sonorité absolument claire : Robert Plant, le micro tenu de sa main droite et le câble agrippé par celle de gauche, défilant vivement des deux côtés de la scène, Jimmy Page, dynamique avec ses fameux mouvements physiques, l’épaule droite se disloquant pratiquement ainsi que son pied gauche dansant à la volée. C’est certain ! c’est Immigrant Song que j’entends voir.

Mon visage, s’approchant sans cesse de la projection, était rendu si près que mon globe oculaire pouvait pratiquement se fondre avec le mur blanc de gypse servant d’écran.

Soudainement ! inquiétant bruit mécanique, vision d’une image brûlante tout comme celle d’une photo ancienne d’un Zeppelin en feu, procédure vive d’interruption de la décharge électrique vers le projecteur, transformer la chambre noire en laboratoire technique éclairé, constater le plus que probable, échanger un regard oblique inquiet mutuel, éprouver le moment de silence et le sentiment de désarroi aigu flottant dans l’air, mais surtout prompte évaluation des dommages. Eh oui, la Bolex avait disloqué le film. Une scène cauchemardesque, identique à celle que j’avais silencieusement redoutée et visualisée au moment où la pellicule s’était introduite dans ce projecteur. Suite à une analyse plus approfondie, on constata que le film n’était heureusement pas autant endommagé qu’on l’eût cru. Par contre, quelques cadres furent brûlés et par le fait même disparurent pour l’éternité. Je n’ai pu ainsi qu’apprécier approximativement 30 secondes seulement de ce document qui, dans ce court constat, m’a semblé très bien réussi : prise de vue de profil situé du côté cour dans les gradins, bonne vue d’ensemble des musiciens à l’exception de Bonham que l’on distingue seulement partiellement et stabilité impressionnante de la part du caméraman amateur.

À vous tous passionnés du Zeppelin, soyez sans crainte, mon collègue collectionneur ne se risquera jamais plus dans une projection itinérante. Le prochain visionnement sera en version numérisée et idéalement avec une synchronisation à partir d’une bande audio du spectacle. Et qui sait, peut-être sera-t-il présenté par Jimmy Page lui-même, par l’entremise du site web officiel de Led Zeppelin. Dossier à suivre…

Ah oui ! j’oubliais, est-ce que quelqu’un possède par hasard un film en 8 mm de René Simard au Forum en 1972 ?

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INFOGRAPHE: DANIEL MARSOLAIS
WEBMESTRE: STEVEN HENRY
ASSISTANTE RÉDAC’CHEF: MURIEL MASSÉ
RÉDAC’CHEF: GÉO GIGUÈRE

2 Comments

2 Comments

  1. Geo Giguere

    31 mars 2018 at 6:19 PM

    je seconde Ricardo!

  2. Ricardo Langlois..

    30 mars 2018 at 2:22 PM

    Bravo M. Bonneville,
    j’ai voyagé a travers votre texte…

    Fan de rock psychédélique, Robert Plant a toujours cru en son destin
    il croit en l’astrologie et a la réincarnation

    9 albums mythiques explorant 3 voies initiatiques: le Blues, le folk celtique
    et le rock oriental

    Ils ne sont pas les seuls: Black Sabbath Jimi Hendrix et les Doors sont
    importants

    J’ai fait beaucoup joué la chanson The rain song (écoute les paroles )tres
    significative pour moi)

    Longue vie a tes découvertes ( ah ta petite touche philosophique… du
    pure génie)

    Merci

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